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Le Vitrail par Eve Luszpinski

Le métier de maître-verrier est un art qui s'applique sur une technique millénaire. Ce métier très particulier, je le pratique depuis bien des années à Paris et travaille particulièrement avec les conservateurs des Affaires culturelles de la Ville de Paris pour la sauvegarde des oeuvres d'art religieuses et civiles. Je mets tout mon savoir-faire dans la restauration de certains vitraux qui me sont confiés et qui ornent nos édifices parisiens. Au fil des années, je me suis spécialisée avec plaisir et curiosité dans la période mal connue et mal aimé des vitraux du XIXe siècle. Les commandes de particuliers, d'architectes, de décorateurs me donnent assez souvent la possibilité de laisser libre cours à mon expression créative, respiration indispensable à la réalisation de soi.

Plus femme de terrain que femme exercée à la pratique littéraire, je vais tenter de vous décrire cet art monumental, difficilement classable dans la hiérarchie artistique, mal connu, admiré par les uns, ignoré par les autres, et faisant indéniablement partie de notre univers et patrimoine culturels.

Aux yeux du profane, qu'est-ce au juste qu'un vitrail ? Un art, une technique, un métier d'art ? Comment le fait-on ?

Selon la définition de Jean Lafond, doyen et maître des historiens du vitrail, je cite : “c'est une composition décorative qui tire son effet de translucidité de son support”. Ajoutons que le vitrail traditionnel, comme le précisait le maître-verrier Félix Gaudin, est “formé d'un assemblage de pièces de grandeur inégale de formes diverses, découpées dans des verres de couleur et de nature différentes, qu'on encastre ensuite dans un lacis de plomb”.

Historiquement, les origines du vitrail restent encore imprécises. On ne sait pas exactement où et par qui furent créés les premiers vitraux.

Né dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, l'art du vitrail a pris un grand essor d'une part avec l'invention du soufflage et d'autre part avec l'importance prise par la fenêtre dans l'architecture des basiliques et des églises.

L'invention du soufflage (bien que l'industrie du verre fut vieille de 5 000 ans) devait permettre la fabrication du verre en “plateaux” et en “tables”. L'Egypte et la Syrie étaient dans l'Antiquité les principaux foyers de la production verrière et c'est dans ces deux pays qu'on a trouvé, au cours de fouilles faites avant la deuxième guerre mondiale, des verres de couleur, soufflés en plateaux et sertis dans un entrelacs de stuc. Ces fragments datent du VII et du VIIIe siècle, précision intéressante pour les historiens du vitrail qui pendant longtemps ont cru que le vitrail médiéval était né en occident. La contribution de l'orient apparaît maintenant prépondérante dans le développement de cet art.

Le plus ancien vitrail occidental a été découvert en 1878 dans le cimetière de Séry-les-Mézières, dans l'Aisne. Il remontait à l'époque mérovingienne. Malheureusement cette vénérable relique a été détruite en 1918, en même temps que le Musée de Saint-Quentin qui l'abritait.

En bref, la vitrerie de couleur s'est répandue en Occident au VIe siècle et les vitraux historiés au IXe siècle. L'idée d'insérer le verre coloré dans un réseau de plomb dérivait des verroteries cloisonnées de l'opus inclusorum. On eut l'idée d'utiliser une armature métallique et le plomb s'impose en raison de sa malléabilité et de son bas point de fusion.

Quant à la composition des vitraux légendaires, les historiens pensent qu'elle a pu s'inspirer des tentures et tapis employés pour clore les fenêtres.

Les échanges d'artistes et d'artisans étaient intensifs dans le Haut Moyen-Age, entre les divers centres de la chrétienté. Maîtres et compagnons se déplaçaient d'un pays à l'autre, d'une ville à une autre ville. Ils étaient tenus en principe de garder les secrets de fabrication, mais il ne semble pas qu'ils aient été mis eux-mêmes au secret comme les verriers de Murano. Cependant, chaque atelier avait ses “trucs”.

Les ateliers étaient, en général, installés autour des cathédrales ou dans les grandes abbayes, non loin d'une forêt, les fours demandant un grand approvisionnement de bois pour la fabrication du verre.

L'art des maîtres-verriers atteint son apogée au XIIe et XIIIe siècles. Il est strictement soumis aux lois de l'architecture monumentale. En France, l'abbé Suger (ami de Louis VI le gros (ça aide d'avoir des relations) sert également Louis VII, régent du royaume, fait exécuter pour l'abbaye de Saint-Denis (1144) de merveilleuses verrières afin de, je cite : “diriger la pensée des chrétiens par des moyens matériels vers ce qui est immatériel.”. Ces vitraux sont des livres ouverts, une bible, aux regards des fidèles qui ne savent ni lire ni écrire. Aux verrières de Suger s'opposent les vitraux de Saint Bernard de Clairvaux, l'austère cistercien, qui fulmine contre, écrit-il “ ces églises ostentatoires où l'on admire davantage la beauté qu'on ne vénère la sainteté”, la règle cistercienne prescrit dans ses églises des vitraux incolores ornés simplement par des grisailles.

L'art du vitrail au XIII siècle est sa période la plus glorieuse.
Si Chartres est la cathédrale dans laquelle Louis IX a été baptisé et qu'il a aimée, la Sainte Chapelle est l'édifice qu'il a construit entre 1243 et 1248. La chapelle est comme un immense vitrail qui remplace les murs entre les piliers qui soutiennent la voûte. On prétend qu'Henri VII d'Angleterre aurait dit lorsqu'il vit la chapelle “qu'il souhaiterait l'emporter tout entière dans une charrette”.
Pour la petite histoire sur la technique du vitrail, l'usage du diamant n'était pas encore connu et le verre coloré est découpé au fer chaud. Aux XIIe et XIIIe siècles les vitraux sont faits par ce procédé, et on ajoutera le modelé au trait des grisailles au siècle suivant.
Pour nous permettre de nous rendre compte de l'importance de ces grands chantiers, le XIIe siècle produisit 20 000 m2 de vitraux très précieux, il en subsiste 1 000 m2 environ. Le XIIIe siècle produisit près de 250 000 m2, il en reste à peu près 15 000 m2. On peut facilement imaginer le grand nombre de compagnons et maîtres, peintres verriers qui oeuvraient sur un édifice et cela pendant quelques dizaines d'années avant de se déplacer vers d'autres cathédrales.

Le XIVe siècle souffre de la guerre, de la famine. La France est exsangue, tous les grands travaux sont arrêtés, on bouche les immenses fenêtres par des vitres blanches. Les peintres verriers développent les dessins d'architectures pour combler les vides, et la découverte du jaune d'argent, dont je parlerai en abordant la technique, développe la peinture sur verre, la pratique de la grisaille est de plus en plus soignée. Mais elle prendra la place sur la peinture en verre et chassera la couleur.

L'art du maître-verrier poursuit son ascension vers la seconde moitié du XVe siècle, le vitrail reprend sa place et ses titres de noblesse, le dessin et la peinture sur verre s'affinent encore, les vitraux se chargent de détails, et la couleur reprend peu à peu ses droits.

C'est au XVIe siècle et à partir de cette époque qu'apparaissent les signatures des auteurs au bas des vitraux ou des monogrammes et des dates. Une vigoureuse émulation s'établit entre le talent des verriers et la générosité des donateurs, les écoles régionales se développent : Arnouldt de la Pointe, école normande des peintres sur verre, le célèbre atelier de Beauvais des Engrand Le Prince, l'école bretonne, l'école troyenne, l'école du Val de Loire, l'école lyonnaise, l'école parisienne avec la dynastie des Pinaigrier (vitraux de St Etienne du Mont, Saint Merry, Saint Germain l'Auxerrois) Mais qui est donc “le maître de Montmorency” comme baptisera plus tard Jean Lafond, l'atelier de peintres verriers parisiens qui nous laisseront tous ces chef-d'œuvres ? Chastellain, La Hamée, car seul un ouvrier reçu maître à Paris est autorisé à exercer dans les limites de l'enceinte de la ville.

Les peintres-verriers jouent un rôle très important, ils reçoivent une formation commune, ils doivent faire 4 ans d'apprentissage, ils ont une charte. Ils sont dispensés d'impôts, privilège déjà octroyé par Charles VI, confirmé par Charles VII et par Charles VIII. Ils reçoivent une somme fixe annuelle ou une rémunération à la journée, et pour les verrières neuves “par pied ou par panneau”.
Les matières premières, les outils, le mobilier leur sont fournis.
Une production de plus d'un demi-million de mètres carrés est réalisée.

Ce qui n'empêche pas qu'au XVII siècle l'usage du vitrail est graduellement abandonné. Le verre de couleur devient introuvable. Les maîtres-verriers deviennent rares, les ateliers végètent. On ne fait plus que des mises en plombs de verre incolore. On oublie les procédés de fabrication des verres colorés. Il subsiste du XVII siècle environ 9 000 m2 de verrières hétérogènes.

Au XVIII siècle, à la veille de la Révolution, il n'y a plus que quatre peintres verriers, qui se sont faits vitriers pour vivre. Ce siècle ne produit qu'une centaine de mètres carrés de vitraux en cartouches, bordures et figures allégoriques et il a détruit des milliers de verrières anciennes, pour des questions de mode. Ont disparu, entre autres et sur ordre du clergé, les verrières de Notre-Dame de Paris, offertes par Suger. La cathédrale de Reims a subi le même sort pour toutes les baies inférieures... pour éclairer l'édifice !

Les vitraux sont fragiles et à toutes époques l'homme a le génie de la destruction. Le feu, la guerre, les révolutions, les vandales, et malheureusement les restaurateurs médiocres. En outre, ils sont exposés à toutes sortes d'intempéries, gel, grêle, foudre et sont soumis à l'action des micro-organismes.

Face à ces causes multiples et permanentes de destruction, il a toujours été nécessaire et utile d'entretenir les vitraux. Saint Louis fonda, dès 1248, une donation à perpétuité pour l'entretien des verrières de la Sainte-Chapelle. On procède également à partir du XVIe siècle à des restaurations complètes.
C'est au XIXe siècle, que l'homme de lettres, Prosper Mérimée, passionné d'histoire va consacrer sa vie à la sauvegarde des chefs d'œuvres de l'art gothique et même roman. Nommé inspecteur général des monuments historiques, il entraînera dans son sillage le jeune Viollet-le-Duc, les premiers inventaires des monuments et chefs d'œuvres sont entrepris. De grandes campagnes de restauration de vitraux sont lancées. Lusson, Gerente restaurateurs de la Sainte Chapelle de Paris, Oudinot pour la Sainte Chapelle du Château de Vincennes. Les ateliers passent de trois à quarante cinq en France. De leur côté Ingres, Delacroix et Larivière créent des cartons pour la manufacture de Sèvres qui produisit de nombreux vitraux. Plus de dix mille églises possèdent des vitraux de cette époque et malheureusement une majorité de réalisations médiocres. Il ne se passa rien de grand dans ce domaine jusqu'à la Première Guerre mondiale. N'ayant pas abordé le vitrail civil (châteaux, monuments civils, immeubles etc.), je passe volontairement sur la belle période qu'est l'Art nouveau consacré particulièrement à des réalisations architecturales profanes et particulières. (Ecole de Nancy, Jacques Gruber).

Il faut attendre la fin du conflit pour que le vitrail contemporain connaisse une première tentative de rénovation avec Jean Herbert-Stevens, Maurice Denis. Mais s'est seulement après la guerre de 1939-1945 qu'on voit s'amorcer une véritable “renaissance” du vitrail sous l'impulsion d'un éminent dominicain, le père Couturier. Il fait appel aux plus grands peintres contemporains et aux maîtres-verriers les plus qualifiés. Une étroite collaboration s'établit entre ces derniers et des peintres, totalement étrangers à l'art du vitrail, comme Henri Matisse, Fernand Léger, Jacques Villon, Georges Rouault, Georges Braque, Marc Chagall, Alfred Manessier, pour ne citer que ceux-là. Cette “renaissance” a été favorisée, aussi, grâce à l'étude approfondie des vitraux anciens qu'on avait déposés à la veille de la guerre pour les mettre à l'abri. On a pu les examiner et les restaurer à loisir avant de les remettre en place.

Les Monuments historiques jouent également un grand rôle sous l'impulsion de Jean Verrier, inspecteur général dans les années 50. On procède à la restauration de vitraux dans les basiliques, dans les églises et chapelles anciennes, mais on crée aussi des verrières d'inspiration moderne, commandées aux peintres cités plus haut ou directement à des peintres et maîtres-verriers comme Max Ingrand, Louis Barillet, Jacques Le Chevallier, Jacques Gruber, Jean Gaudin, Lorin et Gérard Lardeur.

Depuis les années 1977, un grand travail de recherche a été entrepris sur les procédés techniques de restauration en relation avec le Laboratoire de recherche scientifique de Champs sur Marne, par exemple le nettoyage de Notre-Dame de la Belle Verrière de Chartres.

Depuis plusieurs années, les Affaires culturelles de la Ville de Paris se mobilisent pour la restauration de ses bâtiments cultuels et entre autres la préservation des vitraux. Chercheurs et spécialistes du vitrail français et étranger se réunissent régulièrement au cours de colloques pour confronter et accorder leurs nouvelles techniques et règles d'éthique apporter à la conservation de leur patrimoine. Il est vrai que la corrosion et le dépôt des corps et organismes étrangers à la surface des verres, ne font qu'accroîtrent la progression alarmante de l'altération de nos vitraux. La rareté des crédits et la méconnaissance du grand public sur la condition du vitrail font que cet inestimable héritage artistique disparaît peu à peu et plus rapidement dans les petites églises éloignées et isolées que dans les grands édifices relativement bien respectés.

Sous l'impulsion de Jack Lang, la commande publique connaît un renouveau dans les années 1980 notamment dans le domaine du vitrail. à nouveau artistes plasticiens et maîtres-verriers repensent l'art du vitrail. Que l'on aime ou non ces vitraux avant-gardistes, il est très important que le vitrail marque de son empreinte artistique, comme à l'époque éblouissante du vitrail art-sacré, notre ancien et notre nouveau millénaires. Quelles plus belles cimaises ouvertes que les fenêtres de nos cathédrales ou de nos églises ? Elles sont le support unique à cet art de lumière qu'est le vitrail. La cathédrale de Nevers a ses nouvelles verrières signées Gottfried Honegger, Claude Viallat, Jean-Michel Alberola et François Rouan. Pierre Soulages lui a su maîtriser la lumière à l'abbaye de Conques comme pour en respecter l'architecture et la sobriété. Et la somptueuse rosace de Notre-Dame de la Treille à Lille a lancé le peintre Ladislas Kijno vers des techniques nouvelles dans sa réalisation monumentale. Tout récemment, le plomb disparaît aussi au profit de grandes figures colorées et lumineuses dans les beaux vitraux de Martial Raysse qu'il fait réaliser pour l'église Notre-Dame de l'Arche d'alliance à Paris. Le vitrail a encore de beaux jours devant lui, les maîtres-verriers sortent des chemins battus et tentent par de multiples techniques à lui apporter un nouvel élan dans la voie inéluctable de renouveau et de la création.

Mais quel est ce maître-verrier sans lequel toutes ces créations ne verraient pas la lumière ?

Par quels moyens techniques procède-t-il à la réalisation de ces vitraux ?

Selon la définition du Petit Larousse, le “verrier” est celui qui fait du verre, des ouvrages en verre et particulièrement des vitraux. Quant au “maître”, c'était autrefois le titre que prenait un ouvrier reçu dans un corps de métier.

Le maître-verrier est un artisan qualifié qui emploie un ou plusieurs compagnons en atelier. à l'heure actuelle, pour des raisons économiques, beaucoup de verriers travaillent seuls comme votre servante.

“Le métier du verrier, écrivait Jean Taralon, est de capter la lumière pour l'organiser en un jeu de couleurs et de lignes à travers le réseau des verres et des plombs.”

Le métier de verrier est à la fois artistique et manuel, mais pour devenir vraiment maître en cet art, il est indispensable d'avoir l'esprit de création allié à de solides connaissances techniques.
Théoriquement, le maître-verrier doit pouvoir tout exécuter de ses propres mains et faire un vitrail de A jusqu'à Z, c'est-à-dire de la conception de la maquette jusqu'au montage du vitrail proprement dit et aussi procéder à la pose en ses lieu et place définitifs.

En fait, au sein de la profession, il existe diverses spécialisations : il y a le maquettiste, le cartonnier, le coupeur, le metteur en plombs, le peintre-verrier et le poseur. Sans compter le restaurateur de vitraux d'art qui doit posséder une connaissance approfondie des styles, de l'art en général alliée à une certaine habilité et beaucoup de patience.

Les deux matériaux de base utilisés pour la réalisation d'un vitrail traditionnel restent ceux qui ont été utilisés dès l'origine, c'est-à-dire, le verre coloré et le plomb. La réalisation d'un vitrail traditionnel ou moderne nécessite plusieurs opérations successives qui exigent, outre les matériaux que nous venons de citer, divers produits.

Pour l'exécution d'un vitrail voici les matériaux et produits utilisés dans l'ordre correspondant aux diverses opérations succédant à la création du carton : du verre coloré, de la grisaille qui est un mélange d'oxyde de fer, de cuivre, de cobalt et autres avec un fondant, préparé à l'eau ou au vinaigre, des émaux, du plomb, de l'étain pour la soudure, pour la gravure sur verre de l'acide fluorhydrique, acide particulièrement dangereux, et du papier adhésif et enfin, pour le masticage, du blanc de Meudon et de l'huile de lin.

L'outillage comprend, un diamant, une marteline, un marteau, une pince coupante, une pince à gruger, un double mètre et plus, un couteau à monter, une tringlette, un cutter, des ciseaux à calibrer double-lame, des clous pour le montage, un rabattoir en buis, un fer à souder.

Pour la peinture sur verre, il faut un assortiment de pinceaux : des pinceaux filets, des blaireaux, un putois, des pinceaux lavis ou mouilleurs, des traînards, des brosses de dimensions variées.

Le gros outillage comporte, une table à monter de préférence en bois de tilleul avec des règles à sertir en bois de hêtre, des casiers pour les feuilles de verre, une table à dessin, une table éclairante, un four, des casiers pour les vitraux.

Pour l'exécution d'un vitrail, on utilise des verres colorés dans la masse, dit verres “antiques”, ou aussi des verres plaqués et des verres cathédrale ou martelés. Le vitrail traditionnel est encore composé et exécuté de nos jours selon des méthodes qui n'ont guère varié depuis neuf siècles. Aujourd'hui comme au temps du moine germanique Théophile, qui vivait au début du XI siècle et écrivit un traité très complet et très détaillé sur les métiers d'art “Schedula diversuarum artium” et auquel les ouvrages sur l'art du vitrail se réfèrent toujours, on emploie le verre coloré dans la masse par des oxydes métalliques.

Ce verre est fabriqué en feuilles par soufflage à la canne, en manchons ou cylindres. En France ce verre spécial est fabriqué à la verrerie de Saint-Just-sur-Loire.

Avant toute opération, on commence par une prise de connaissance du site où l'on doit installer un vitrail : mesures exactes, un relevé exact de la fenêtre, un vitrail n'est ni extensible, ni compressible, l'orientation et les vitraux qui l'entourent si ils existent.

Pour réaliser un vitrail, on établit tout d'abord une maquette à petite échelle, en couleurs (appelée jadis “patron au petit pied”). Cette maquette détermine l'ordonnance générale de la verrière, l'échelle de la distribution des figures et des ornements, ainsi que l'harmonie des colorations. On exécute ensuite le carton qui est le patron de l'ouvrage en grandeur d'exécution. Tout y est tracé : division de la fenêtre par les meneaux et les barres de fer, les barlotières qui constituent l'armature, le réseau de plombs, le détail des figures et ornements. Les couleurs sont indiquées par des lettres.

Sur le carton, on doit également tenir compte de l'épaisseur du “cœur de plomb” (les baguettes de plomb sont formées d'une “âme” ou cœur de plomb et de deux ailes, qui lui donne la forme d'un H couché). Le cœur de plomb est toujours le même, mais la largeur des ailes peu variée.

Le carton n'est apparu qu'au début du XVe siècle. Autrefois, pour dresser le carton, l'artiste se servait d'une table blanchie à la craie ou à la terre de pipe, sur laquelle il travaillait à la mine de plomb.
De nos jours, le carton est tracé sur un papier bulle ou papier fort. Puis on le calibre à l'aide des ciseaux double lame.
La coupe est faite au diamant (apparu seulement au XVIe siècle) en plaçant les calibres sur les feuilles de verre de couleur choisit en fonction de la maquette. La coupe demande un soin minutieux car on ne peut revenir sur une erreur un fois le verre coupé.

On peut alors procéder à la peinture sur le verre, la grisaille est un composé fusible d'oxydes et de fondant, additionné au Moyen-Age, de vinaigre, de fiel de bœuf ou d'urine. La grisaille est appliquée sur le verre à l'aide de pinceau, en plusieurs couches, selon le dessin qui doit être représenté. Ensuite les différentes pièces de verre peintes sont enfournées dans un four électrique ou à gaz jusqu'à une température environ de 650°.

Le plomb joue un grand rôle dans l'expression artistique du vitrail. Il est indispensable pour soutenir le dessin, en même temps qu'il isole les couleurs en leur permettant de s'accorder ou de s'opposer sans que le voisinage des tonalités altère la pureté et l'éclat de chacune d'elle.

Après la cuisson des grisailles, on procède au montage à l'aide de baguettes de plomb. Les verres sont insérés entre les ailes et poussés contre le cœur, ils se trouvent ainsi encastrés dans les rainures des plombs. Une fois le montage terminé, les ailes de plombs sont rabattues à l'aide d'une spatule et les plombs sont soudés à chaque jointure à l'étain à l'aide d'un fer à souder.
Le vitrail sera ensuite mastiqué pour lui assurer rigidité et imperméabilité.

La dernière opération faite en atelier est la soudure d'attaches au plomb du panneau. Une fois le vitrail posé, ces attaches seront entourées autour de petites barres de fers, les vergettes, indispensable à la rigidité et à la tenue du vitrail.

Les vitraux ainsi terminés sont transportés avec précaution sur le lieu de leur pose. Cette dernière étape qui allie la force et la délicatesse est le stade final. Les vitraux sont posés dans leurs fenêtres et scellés définitivement dans les feuillures par du mastic ou du mortier selon le support. Le vitrail prend ou reprend enfin sa place définitive ou d'origine. Quelle plus belle satisfaction pour celui et ceux qui l'ont réalisé de le voir rayonner, exister et renaître. Et de prendre enfin conscience de l'importance du travail accomplie dans la réunion de l'art et de la technique.

Je terminerai avec les bâtisseurs sans lesquels rien ne serait arrivé jusqu'à nous. L'art du vitrail est indissociable de l'époque médiévale. “Le siècle des cathédrales”, qu'une véritable révolution de la foi éclaire d'une dimension nouvelle, est une période d'intense créativité intellectuelle, artistique et spirituelle. L'église possède l'accès à la connaissance par les livres, elle est riche et puissante, les cathédrales s'élèvent à la gloire de Dieu sur toute la France et l'Europe.

C'est de la rencontre du moine et de l'artisan que naît le bâtisseur, du maître d'œuvre à l'apprenti. Les bâtisseurs ne dressent pas leur plan, ni leurs cathédrales au hasard, ils possèdent eux aussi la connaissance, l'arithmétique pythagoricienne, la géométrie et la divine proportion, l'astronomie et ses lois de la nature, ils n'inventent rien, il se place humblement dans la chaîne multidimensionnelle de la transmission du savoir une unité dans le travail anime une multitude de mains.
Mais rien ne prouve que les maîtres d'œuvres, compagnons, apprentis ou maîtres verriers sont animés par la foi religieuse. Ils sont habités par l'amour de la belle ouvrage, de la réalisation et l'accomplissement d'une oeuvre parfaite. S'ils ne divulguent pas les secrets, c'est qu'ils les transmettent à ceux qui possèdent la même passion du faire et de la création.
Ce sont probablement des mécréants animés par un esprit de devoir et de travail parfait. Relevez la tête, lorsque vous visitez un édifice, quelques petits démons rieurs taillés là-haut sur une colonne vous regardent ou à l'extérieur, quelques gargouilles moqueuses vous observent.

Pourtant tous ces compagnons se soumettent à des lois, des règles et des rites leur permettant de s'astreindre à des travaux très durs, à des tâches éprouvant leur volonté et leurs qualités. Ils risquent aussi leur vie, sur les échafaudages, par les chutes de pierres et bien d'autres dangers. Ainsi l'apprenti doit bien travailler, sinon il n'obtiendra ni augmentation de salaire, ni ouvrage. Il ne pourra ni manger, ni survivre, ni faire vivre une famille.

Et qui est-il, ce maître verrier, ce magicien qui joue avec la couleur et maîtrise la lumière ? Son apprentissage et son initiation ne s'attachent pas à la confrérie des bâtisseurs, il n'appartient pas au compagnonnage des Enfants de Salomon, ni des Enfants de Maître Jacques, ni des Enfants de Maître Soubise. Et pourtant il a la connaissance de la transmutation de la matière, de la chimie des couleurs et de l'art du feu. Son statut lui permet de porter l'épée, privilège du chevalier, aura-t-il été “adoubé” ?

Ce maître de la lumière est son propre maître, il est le dernier maillon de la chaîne de la construction de l'édifice. Il vient apporter la touche finale, il pose son oeuvre, sa création, ses murs de lumière sont les joyaux de cet espace, la gloire de la Jérusalem Céleste énoncée par l'Apocalypse : “Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel, de chez Dieu... Elle resplendit telle une pierre très précieuse, comme une pierre de jaspe cristallin... Le rempart est construit en jaspe et la ville est de l'or pur, comme du cristal bien pur...”

Voilà pourquoi tous les chemins mènent à la lumière, que nous soyons profanes ou éclairés, nul ne peut pénétrer dans la plus petite et plus sombre des chapelles sans élever son regard vers ces fenêtres que des mains spirituelles et rugueuses ont comblé de messages colorés. Ces vitraux qui viennent fermer l'édifice sont des fenêtres qui s'ouvrent sur de multiples réflexions.