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Cause et conséquences possibles de la disparition des repeints des vitraux de Theix

Michaël Messonnet - Diégo Mens

Le 12 janvier 2000, la mairie de Theix adresse copie d’un courrier du curé de la paroisse à l’atelier HSM. Courrier en date du 27 décembre précédent : Après cette grande tempête (..), J’ai constaté encore de l’eau au pied du vitrail de droite au fond de l’église (vitrail entièrement restauré). Plus inquiétant, le curé se plaint également d’avoir constaté la disparition de l’ensemble des repeints sur deux verrières, récemment restaurées et placées au sud de l’édifice (baies 8 et 10). Un rendez-vous est pris sur place avec la conservation départementale et avec les autorités locales. Le constat est plus dramatique que prévu, car c’est l’ensemble des quatre verrières restaurées entre 1996 et 1998 (baies 4, 6, 8 et 10) qui est touché.

Afin de comprendre comment une opération de restauration avec reprises de grisailles peut s’avérer ratée, voire catastrophique, il est nécessaire de faire l’historique de celle-ci et de mieux appréhender l’environnement dans lequel elle a été réalisée.

Historique de la commande et recherches iconographiques

Les vitraux de l’église de Theix sont un unicom dans la création de vitraux au XIXº siècle en Bretagne et semble-t-il dans le grand Ouest de la France. Ils sont réalisés en 1883 par l’atelier de Bruges Grosse de Herde, suite à une commande de la paroisse de Theix. On compte au total 10 verrières en plein cintre de cinq barlotières horizontales et deux verticales. Ces verrières illustrent la vie de Sainte Cécile, martyre romaine et patronne de l’église paroissiale. La commande de ces vitraux est la dernière étape d’une restauration importante de cet édifice, restauration commencée vers 1860. Le Morbihan dispose pourtant d’un atelier important situé à Vannes et qui a orné de sa production de nombreuses églises et chapelles du diocèse : l’atelier Laumonnier. Dans ces conditions, pourquoi faire appel à un atelier si lointain ?

D’autre part, ces vitraux présentaient une altération générale et importante des grisailles formant les carnations et les drapés. La perte de lisibilité générale était préjudiciable et le maître d’ouvrage et l’affectataire souhaitaient que l’on puisse au travers de la restauration retrouver l’état d’origine.

Dans ce cas de figure, une étude plus précise des circonstances de la commande de 1883 devenait nécessaire afin de retrouver les cartons d’origine ou une source iconographique provenant de l’atelier (commande similaire, esquisses, etc.) qui permettraient une restitution plus complète lors de la restauration de ces baies.

La première étape de la commande se situe en 1855. Le 3 juillet, Dom Guéranger, grand rénovateur de l’abbaye bénédictine de Solesmes, se rend de Nantes à Vannes. Quelques kilomètres avant Vannes, à la hauteur de Theix, une roue de sa voiture se brise, sans qu’il y ait de blessés. Dans l’attente de la réparation, ce dernier va dire la messe dans l’église de Theix et attribue à la protection de cette sainte de ne pas avoir été blessé lors de l ‘accident. Aussi, il promet de donner à l’église une relique de cette sainte en remerciement. Le 18 octobre de la même année, il revient à Theix avec une relique de la sainte, relique qui est portée en procession du presbytère à l’église. Cet épisode, narré dans le bulletin paroissial de Theix en septembre 1936 est d’ailleurs évoqué dans le vitrail du transept sud de l’église. Dom Guéranguer fonde en 1866 le monastère de Sainte-Cécile de Solesmes et écrit en 1874 “Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles”.

C’est à partir de cette biographie de la vie de Sainte Cécile que l’angevin Louis de Farcy va composer le programme iconographique des vitraux de l’église. Louis de Farcy, né en 1846 à Château-Gontier consacre sa vie à l’archéologie et à l’art. Il publie de nombreux ouvrages dont une Monographie de la cathédrale d’Angers, trois tomes paraissent de son vivant. Il collabore aux sociétés savantes d’Anjou, publiant de nombreux articles. Conservateur du musée de l’évêché, il veille à l’exécution lors de la création d’ornements liturgiques pour les évêques, le chapître de cathédrale d’Angers et sa fabrique. Ce travail lui permet de rencontrer l’atelier Grossé de Herde, qui va réaliser de magnifiques ensembles d’ornements liturgiques.

Louis de Farcy a également des attaches dans le Morbihan et plus particulièrement à Vannes, où il effectue une partie de ses études au collège jésuite de Saint-François Xavier. Il est membre correspondant de la société Polymathique du Morbihan, l’une des plus anciennes sociétés savantes de France. Il se rend fréquemment dans le département comme en atteste un croquis réalisé par ses soins en 1865 d’une croix à double traverse du XIIIº siècle, réalisé à Carnac et dont il signale en 1889 qu’elle a sans doute été vendue à quelqu’anglais. C’est donc cet érudit, à la demande de la paroisse de Theix, qui va élaborer le programme iconographique des vitraux de Theix. Il se base sur les textes de Dom Guéranger et va faire appel à l’atelier Grossé de Herde.

L’atelier est fondé à Gand en 1783 par Jean Josse Grossé, brodeur. En 1791, son fils Jean-Baptiste s’installe à Bruges, bientôt rejoint par son frère Jean-François. Louis Grossé succède à son père Jean-François en 1848. Il est un fervent défenseur du renouveau catholique et va diversifier les activités de l’atelier. Son fils Louis (1840-1929), aîné de 13 enfants et époux de Marie-Thérèse de Herde va se spécialiser dans le domaine du vitrail. Il développe son activité à partir de 1870. L’atelier ouvre une succursale à Londres au 83 de Baker Street. Comme de nombreux ateliers à l’époque, l’atelier édite des documents publicitaires libellés comme suit : ateliers de peintures sur verre et sur émail pour églises, chapelles, oratoires, salles monumentales et cabinets d’art et d’étude de L. Grossé de Herde, sous la direction de Louis Grossé, et d’après les anciens principes pour l’emploi des couleurs vitrifiables. Ces couleurs sont brillantes et parfaitement transparentes dans toutes les parties du tableau. Elles sont fort solides et résistent à toutes les actions de l’air. Le style de chaque édifice est rigoureusement observé dans la composition du dessin. Les ordres sont exécutés à des prix fort modiques et avec la plus grande célérité. Des spécimens de vitraux de différents genres et styles sont continuellement exposés à l’atelier, et envoyés à vue aux personnes qui en feront la demande. Les prix au mètre carré des vitraux sont ensuite présentés, répartis en six catégories allant de grandes figures traitées d’une manière large et courante pour clair-étage aux petites figures et sujets historiés du XIIIº siècle, achevés fins.

La recherche des cartons est réalisée aux archives paroissiales et départementales. Aucune trace de ceux-ci. Un contact est pris avec les responsables actuels de l’atelier Grossé, toujours localisé à Bruges. Michel Vernimme, le gérant de la société précise que les fonds documentaires dont il dispose (plus d’un millier de dessins) concernent uniquement l’art de la broderie. Son courrier est accompagné d’un prospectus de la fin du XIXº siècle de la succursale anglaise qui illustre les différents modèles de verrière. Le modèle D correspond à celui des verrières de Theix. Il illustre le deuxième martyr de Cécile, avec le lecteur s’apprêtant à lui trancher la tête, mais aussi un thème très proche : le martyre de Sainte Barbe. Après quelques recherches, un vitrail tout à fait similaire à celui de Theix est repéré à l’église de Mechélen (Pays-Bas). Il semble que le même carton ait été utilisé pour illustre un vitrail de l’église Saint-Martin de Thisnes.

Au terme des recherches, un constat s’impose : la recherche des cartons d’origine est vaine. Seule la baie représentant le second martyr est documentée. Comment alors satisfaire les exigences du propriétaire et de l’affectataire de retrouver l’état original ?

Constat d’état des verrières et de l’édifice


Etat d'origine
Cet ensemble de 10 verrières figuratives réalisées par l’atelier de Bruges Grossé de Herde en 1883 est examiné à la demande de la conservation des antiquités des objets d’art pour la première fois en 1995, dans le cadre de l’établissement d’un devis de restauration. Chaque fenêtre est identique (300 x 150 cm) et composée chacune de 18 panneaux de 0.50 m2. La totalité des grisailles formant le modelé des visages et des drapés ont disparu. Les émaux formant le ciel sont totalement effacés. Deux hypothèses sont alors émises quant à cette disparition : soit le verre est trop dur et sa cuisson n’a pas été suffisamment élevée pour permettre une bonne adhérence des vitraux, soit la grisaille est de mauvaise qualité ou celle-ci a été préparée au vinaigre pur. L’état général est catastrophique et outre les problèmes de grisaille, de nombreuses pièces sont cassées. La serrurerie montre une faiblesse en surface. La pose des panneaux, réalisée par l’extérieur sans feuillards, présente des calfeutrements en mastic à chanfrein très large. La maçonnerie se révélera creuse lors du démontage.

L’édifice présente des conditions de conservation douteuses. Il est entièrement rejointoyé au ciment à l’intérieur et les sas disposés sur chacune des portes créent un confinement du volume. A ceci s’ajoute un chauffage à air pulsé dont la sortie est en base des baies des vitraux, au sud de l’édifice. Cet édifice réunit donc toutes conditions pour créer de fortes condensations aux faces internes des vitraux et par conséquent favoriser la disparition de grisailles mal adhérentes.

Une absence d’adhérence des grisailles des vitraux mettrait donc en cause les techniques de peinture et de cuisson de l’atelier créateur, mais dans l’état des recherches actuelles et au vu de vitraux conservés aux Pays-Bas, rien ne permet d’étayer cette hypothèse.

Elaboration du devis de restauration

Après ce constat d’état, les points suivants sont évoqués avec le conservateur :

  • La commune et l’affectataire souhaite la restauration des vitraux afin d’en retrouver l’éclat premier. A ce point, le conservateur en application des règles déontologiques rétorque que le dessin est très effacé et qu’il n’existe pas de trace précise de l’état d’origine. Le conservateur souhaite sauver cet ensemble, mais pas pour autant réinventer un décor effacé.

  • Dans cette optique de sauvetage des baies, il est proposé au conservateur une protection par une verrière de doublage,

Sur ces bases, trois procédés sont étudiés par l’atelier en prenant pour référence la baie nº 3 :

  1. Repeint avec une verrière de doublage : le prix est élevé en raison de la conservation de la serrurerie et d’une pose extérieure,

  2. Doublage peint de chaque verre en manque de grisaille, soit 60 % de la surface, ce procédé entraînant un confinement inévitable entre les verres, une surcharge considérable du panneau du vitrail et des problèmes techniques de serrurerie lors de la pose,

  3. Une restauration avec une mise en plomb, la conservation de tous les verres anciens, la reprise des peintures sur la face interne et la conservation de la serrurerie.

Cette dernière solution est retenue pour plusieurs raisons. Elle offre tout d’abord la conservation totale des verres et de la serrurerie. D’autre part, elle est économiquement viable pour le maître d’ouvrage, la commune. Enfin, la reprise des peintures sur la face interne répond aux souhaits de l’affectataire de retrouver une lisibilité d’origine.

Le devis global de la baie 3 est réalisé en 1995 est s’élève à 53 800 francs pour une surface de 4,43 m2. Sur cette base la restauration des baies 8 et 10 est programmée et débute en mai 1997. Elle est subventionnée par le conseil général du Morbihan à hauteur de 30 % du montant hors taxes (programme des objets mobiliers non protégés).

Lors de la dépose de ces vitraux, la mise en œuvre de la serrurerie apparaît déficiente. La maçonnerie est creuse et parfois les jambages ont été rebouchés grâce à du papier journal.
A l’atelier, pour des raisons techniques l’utilisation de gel est mis en œuvre pour dessertir les panneaux, application sur la face externe. Il faut constater alors que le verre a été grugé plus que coupé et que la mise en plomb est par endroit doublée d’un autre plomb. Ces éléments permettent de penser qu’une restauration intermédiaire a été réalisée, mais aucun document à ce jour ne permet de l’affirmer.

Après relevé sur calque des traces visible de grisaille et avoir effectué un test de solidité de celle-ci, un nettoyage (eau déminéralisée et alcool à 90°) est entrepris sur chacune des pièces et ceci sur deux faces. Après collage, remise en plomb et masticage extérieur, des essais de repeint sont proposés au conservateur des antiquités et objets d’art qui les valident. L’utilisation de la résine mastic Maïmeri est choisie pour sa bonne réversibilité et son non-blanchiment. Il est à noter qu’en 1995, le laboratoire de recherches des monuments historiques préconise certains produits pour leur réversibilité, mais que le problème de lessivation de ces produits n’était pas bien connu.

C’est donc sur des verres propres que les repeints sont réalisés dans un style léger pour les baies 8 et 10, et beaucoup plus marqué sur les numéros 4 et 6 (à la demande expresse de l’affectataire des lieux) La repose des panneaux se fait sans aucune difficulté. La réception des deux tranches de travaux est prononcée et de l’avis général, la qualité de la restauration avec ses repeints est appréciée.


Application partielle d'un repeint

Que s’est-il passé aux alentour du 25 décembre 1999, pour que subitement 4 baies restaurées depuis 4 et 2 ans perdent en l’espace de 3 jours tous leurs repeints ?
Une tempête sur la façade atlantique que nous gardons tous en mémoire et dont les effets associés aux embruns et au confinement de l’édifice, a favorisé un phénomène de condensation sans précédent qui a agi comme une machine à laver sur les repeints.
L’utilisation des Maïmeri avait pour avantage une bonne réversibilité contrôlable, sauf que là !
Alors, avons-nous joué aux apprentis sorciers en voulant réintégrer une lecture des vitraux sans documents de base, en faisant le choix d’un principe économiquement séduisant, d’avoir cru que nous disposions de toutes les informations ?
En analysant ce raté, 5 années après les premières études de conservation des vitraux de Theix, je mesure combien le dicton “dans le doute, abstiens-toi” prend ici toute son importance. La seule chose satisfaisante, c’est que notre intervention sur ces vitraux n’a ni dégradé les verres, ni les quelques grisailles restantes.